Dao De Jing, chapitres 31 à 40

Le célèbre ouvrage de LAO TSEU en 81 chapitres

École chinoise, Lao-tseu sur son buffle, suivi par un disciple, XVIIIe s., Paris, Bibliothèque Nationale.

TRENTE ET UN : Les armes les plus belles ne sont que des engins de mort. L’humanité les a en horreur. Celui qui suit la voie du Tao en détourne ses regards. L’homme de bien se place à gauche du maître de maison. L’homme de guerre s’installe à sa droite. Les armes n’apportent que la mort. Le bon souverain en détourne le regard. Il ne les prend que s’il n’a pas d’autre choix. Pour lui, les trésors suprêmes sont le calme et la paix. La victoire ne le remplit pas de joie, car se réjouir serait se glorifier d’avoir ordonné la mort. Celui qui se glorifie de la mort d’autres hommes ruine sa destinée et ne pourra pas gouverner. Dans les jours heureux, la place d’honneur se trouve à gauche. Dans les jours de malheur, elle est à droite. L’aide de camp se place à gauche, le chef de guerre s’installe à droite. Ainsi la guerre se conduit comme des funérailles. Le chef triomphant préside au festin de la victoire comme s’il assistait à l’office funèbre de ceux qu’il a fait tuer. Car ayant fait tuer beaucoup d’hommes, Il doit maintenant en porter le deuil.

TRENTE-DEUX : Le Tao ne peut être défini. Étant insaisissable, il échappe à toute emprise. Si les souverains se conformaient au Tao, ils verraient les dix mille êtres se remettre entre leurs mains. L’harmonie du ciel et de la terre emplirait l’univers et une douce rosée descendrait sur les hommes. La paix universelle ferait la joie de tous les peuples. Et puis les hommes furent séparés par contrées et par nations, et distingués chacun par un nom. Et avec le nom surgit la division. Par le Tao on connaît les limites du danger. Car le Tao, dans l’univers, est comme le fleuve, dont le flot, depuis toujours, va rejoindre la mer.

TRENTE-TROIS : Celui qui connaît les hommes acquiert la sagesse. Celui qui se connaît lui-même possède la lumière. Celui qui conduit les hommes est fort. Mais celui qui se maîtrise lui-même détient la vraie puissance. Celui qui se contente de ce qu’il a est le vrai riche. Être sans désir, c’est posséder le monde. C’est suivre la voie. Si celui qui persévère fait preuve de volonté, celui qui demeure dans l’ordre des choses est le Sage absolu. Celui qui meurt mais reste dans le souvenir des hommes a touché à l’éternité.

TRENTE-QUATRE : Le Tao se répand comme un flot. Sa puissance est sans limite. Les dix mille êtres naissent et vivent de lui sans qu’il en soit l’auteur. Il poursuit son œuvre éternelle sans vouloir rien imposer. Il commande aux hommes sans s’en déclarer le maître. Il est sans désir et dénué d’ambition. On peut le dire petit. Quelle erreur : il est immense, incommensurable. Les dix mille êtres retournent à lui sans qu’il ne demande rien. On peut alors le dire immense, et nul ne peut le cerner. Le sage ignore sa grandeur, ainsi elle se réalise d’elle-même. A l’infini.

TRENTE-CINQ : Celui qui suit le Tao peut parcourir le monde en toute quiétude. Il trouvera partout paix, équilibre, sécurité. Il s’avance, impassible, dans la sérénité. Musique et bonne table attirent le passant. Mais la bouche qui parle du Tao ne le retient pas. Car ce qu’elle dit est sans saveur : on le regarde et on ne le voit pas, on l’écoute, et on ne l’entend pas. Pourtant, celui qui puise dans le Tao a puisé l’inépuisable.

TRENTE-SIX : On ne peut réduire que ce qui est déployé. On ne peut affaiblir que ce qui est puissant. On ne peut abattre que ce qui est élevé. Ainsi pour recevoir, il faut avoir donné. C’est la loi de la nature. La douceur et la faiblesse triomphent de la dureté et de la force. Que le poisson qui brille demeure au sein des profondeurs ! Les secrets du royaume doivent être ainsi maintenus cachés au regard des hommes.

TRENTE-SEPT : Le Tao n’agit pas par lui-même. Et pourtant il n’est rien qu’il n’accomplisse. Si seulement les rois et les princes pouvaient s’y tenir, les dix mille êtres les suivraient dans cette voie. Dans la voie du bonheur, dans la voie de la perfection. Et si malgré tout ils voulaient encore agir, la simplicité suprême du Sans-Nom les assagirait. Ils deviendraient alors sans désir, en paix, et, partant, l’univers se transformerait. de lui-même.

TRENTE-HUIT : L’homme de haute vertu est au-dessus de la vertu, c’est pourquoi il est vertueux. L’homme de moindre vertu, se dit vertueux c’est pourquoi il ne l’est pas. L’homme de haute vertu la pratique sans y penser. L’homme de moindre vertu l’utilise pour atteindre un but. Et pourtant il ne l’atteint pas. Le véritable homme de bien agit sans avoir de raisons de le faire. L’homme de justice agit car il a des raisons de le faire. L’homme qui se conforme au rites agit et veut les imposer par la force. Ainsi, si l’on oublie le Tao, il reste la vertu. Si l’on se détourne de la vertu, il reste la bonté. Lorsque la bonté est perdue, il reste la justice. Lorsqu’on abandonne la justice, on recourt aux rites. Or, Les rites ne sont que l’apparence de la vérité et de la sincérité. Ils sont aussi l’amorce de la confusion. La connaissance et l’intelligence ne sont pour le Tao que des fleurs sans parfum. Elles sont souvent la source de l’erreur. C’est pourquoi le Sage puise au tréfonds des choses sans s’arrêter aux apparences. Il contemple le fruit plutôt que la fleur. Il ignore l’une et cueille l’autre.

TRENTE-NEUF : Voici ce qui, depuis les origines, a atteint l’unité : Le ciel parce qu’il est pur. La terre parce qu’elle est stable. Les esprits parce qu’ils sont transcendants. Les vallées parce qu’elles sont riches en eau. L’humanité parce qu’elle se reproduit. Les souverains et les gouvernants parce qu’ils donnent l’exemple. C’est l’unité qui les rend parfaits. Si le ciel n’était plus pur, certainement il s’effondrerait. Si la terre n’était plus stable, elle s’écroulerait. Si les esprits n’étaient plus transcendants, ils s’évanouiraient. Si les vallées n’étaient plus humides, elles deviendraient des déserts. Si les dix mille êtres cessaient de se reproduire, ils disparaîtraient. Si les souverains et les gouvernants renonçaient au pouvoir, leurs pays tomberaient dans le chaos. La noblesse repose sur l’humilité. Ce qui est grand prend appui sur ce qui est infime. Ainsi les souverains et les gouvernants se nomment-ils eux-mêmes orphelins, hommes sans valeur et de peu de mérite. Ils montrent par là leur compréhension de l’ordre profond des choses. L’honneur suprême est en dehors de l’honneur. Car le Sage ne cherche ni a briller comme le jade, ni a être rejeté comme un caillou. Il vit au-dessus de l’estime et du mépris.

QUARANTE : L’immobilité est le mouvement du Tao. Dans sa faiblesse réside sa puissance. Tous les êtres de ce monde sont nés du visible. Le visible procède de l’invisible. Car tout est et n’est rien.