Le célèbre ouvrage de LAO TSEU en 81 chapitres
École chinoise, Lao-tseu sur son buffle, suivi par un disciple, XVIIIe s., Paris, Bibliothèque Nationale.
SOIXANTE ET ONZE : Celui qui sait croit qu’il ne sait rien. Celui qui ne sait rien et croit tout savoir s’expose à l’échec. L’homme qui prend conscience de ses erreurs peut éviter de les répeter. Le Sage est conscient des difficultés, conscient aussi des erreurs. Ainsi il peut les écarter. Et il garde sa sérénité.
SOIXANTE DOUZE : Si ton pouvoir n’est plus respecté par le peuple, c’est qu’un pouvoir plus fort survient et que ta fin est proche. N’oblige pas le peuple à vivre à l’étroit, ne restreins pas le champ de son labeur, ne l’oppresse pas. Il restera paisible. Ainsi le Sage se connaît lui-même, et il vit dans l’isolement. Il est en paix avec lui-même. Sans aucune vanité. C’est pourquoi en tout il peut faire librement son choix. Et c’est dans la profondeur et non dans l’extérieur qu’il puise sa connaissance. C’est dans le dedans et non dans le dehors qu’il puise son amour.
SOIXANTE TREIZE : L’homme courageux et téméraire joue avec la vie. L’homme courageux et sage préserve la vie. De ces deux façons d’être l’une est bonne, l’autre est funeste. Qui peut comprendre les décrets mystérieux du ciel ? C’est pourquoi le Sage ne prend pas parti. La voie du ciel régit sans contraindre. Elle trouve réponse sans questionner. Elle reçoit sans avoir demandé, et accomplit son dessein mystérieux en toute sérénité. Le filet du ciel est immense. Très larges sont ses mailles. Mais nul n’y échappe. Car le ciel rejette ce qu’il faut rejeter et garde ce qu’il faut garder. Et nul ne sait comment.
SOIXANTE QUATORZE : Si le peuple n’a plus peur de la mort, la menace de la mort n’aura plus d’effet. Si le peuple craint la mort, et si l’on met à mort ceux qui violent les lois, qui oserait alors les transgresser ? Le grand bourreau c’est la nature. Elle exécute, elle punit. Vouloi se substituer au bourreau, c’est vouloir équarrir du bois à la place du charpentier. Mais celui qui veut équarrir du bois à la place du charpentier risque fort de s’entailler les mains. Laisse la nature faire son travail, car c’est elle le Grand Exécuteur.
SOIXANTE QUINZE : Le peuple est affamé parce que les gouvernants le chargent d’impôts. C’est pourquoi il a faim. Le peuple murmure et s’agite parce que ses gouvernants le harcèlent C’est pourquoi il s’agite. Le peuple regarde la mort avec indifférence quand sa vie est pénible. Et c’est ça qui le rend indocile. Voilà pourquoi il méprise la mort. Seul celui qui n’est pas réduit à lutter pour vivre peut apprécier sagement la vie. Le Sage ne vit pas que pour vivre Ainsi il peut en apprécier la valeur.
SOIXANTE SEIZE : En naissant, l’homme est fragile et souple. Lorsqu’il meurt, il est dur et raide. En naissant de la terre, les arbres sont tendres et flexibles. Morts, ils deviennent secs et rigides. Rigidité et dureté sont le propre de la mort. Souplesse et fragilité sont le propre de la vie. C’est pourquoi une armée lourde et forte sera défaite, et l’arbre puissant et dur s’abattra tout à coup. Ce qui est grand et fort est en réalité faible, et sera couché au sol. Ce qui est faible et souple est véritablement sublime et s’élèvera au ciel.
SOIXANTE DIX SEPT : La voie du ciel peut être comparée à un arc que l’on tend. Le haut est courbé vers le bas. Le bas est relevé. Si la corde est trop longue, elle sera raccourcie, si elle est trop courte, elle sera rallongée. La voie du ciel prend à celui qui a trop, et donne à celui qui n’a pas assez. La voie des humains est bien différente. Ils prennent à celui qui n’a pas assez pour donner à celui qui a déjà trop. Qui sait se séparer du superflu pour en faire don aux autres ? C’est celui qui possède le Tao, la voie du ciel. Ainsi le Sage oeuvre sans vouloir être reconnu. Il accomplit ce qui doit être accompli sans en tirer gloire. Et il cache sa sagesse comme on cache un trésor.
SOIXANTE DIX HUIT : Dans ce monde, rien n’est plus inconsistant et plus faible que l’eau. Et pourtant, l’eau attaque et emporte ce qui est dur et puissant. Dans la lutte éternelle entre l’eau et le roc, c’est toujours l’eau qui emporte la victoire. Rien ne lui résiste et rien ne peut la vaincre. Car la faiblesse a raison de la force, et la souplesse s’impose à la dureté. Tout le monde sait celà, mais personne ne se conforme à cette loi. Et le Sage dit : » L’esprit du sol qui reçoit toutes les ordures du royaume devient le maître et le seigneur des moissons » Ainsi celui qui accepte les refus du royaume devient le maître de l’empire. Car le faux paraît vrai et le vrai paraît faux.
SOIXANTE DIX NEUF : Même apaisée, une grave querelle laisse un ressentiment. Que peut-on faire pour agir selon le Tao ? Le Sage accepte ce qu’on lui attribue, et ne réclame rien d’autre. Il honore ses engagements et ne veut pas plus. L’homme sans vertu veut s’approprier le maximum. La voie du ciel n’a pas de préférences. Elle comble de biens l’homme de bien.
QUATRE VINGT : Si je gouvernais un petit royaume avec peu d’habitants, je défendrais d’utiliser les armes que ce peuple possèderait. Le peuple devrait considérer la mort comme redoutable et rester dans les lieux de ses ancêtres. Bien qu’ayant bateaux et chars, il n’en userait point. Bien qu’ayant armes et cuirasses, il les laisserait dans leurs caches. Il compterait jours et années avec des cordelettes comme dans le passé. Il trouverait savoureuse sa nourriture, beaux ses vêtements, agréable sa maison, pleines de douceur ses coutumes ancestrales. Non loin de là, il apercevrait avec bonheur les hommes du pays voisin. Il entendrait chanter leurs coqs et aboyer leurs chiens. Il vivrait au rythme des saisons, et mourrait de vieillesse sans avoir connu le pays voisin.
QUATRE VINGT UN : Les paroles sincères ne sont pas toujours agréables, les paroles agréables ne sont pas toujours vraies. Le bien ne s’argumente pas. Les arguments ne sont que vaines paroles. L’ignorant croit tous savoir. L’érudit pense qu’il ne sait rien. Le Sage ne garde rien pour lui. Plus il donne aux autres, plus il s’enrichit. Et il possède un trésor précieux : Ce qu’il a donné aux autres. Ayant tout donné, tout lui est rendu au centuple. La voie du ciel est d’agir sans demander, d’obtenir sans lutter, de s’enrichir en donnant. Telle est la voie du ciel. Le Tao.