Histoire et Explications du Nom du Livre « Huangdi Nei Jing »

Suivant les connaissances actuelles, Huangdi Nei Jing est le classique le plus ancien de la médecine chinoise. Il explique assez complètement ses bases théoriques et crée ainsi des fondements solides pour tout son développement ultérieur. Dans l’histoire de la Médecine Chinoise, beaucoup de théories de nombreux médecins et d’écoles célèbres sont basées sur le Nei Jing. Ce classique est donc considéré comme l’ouvrage théorique fondamental absolument indispensable pour apprendre la Médecine Chinoise.

En général, on considère que le Nei Jing a été écrit et constitué en livre pendant la période des Royaumes Combattants (-475 à -221). Certains chercheurs pensent cependant qu’il était plus récent, à savoir la période des Han occidentaux (-206 – 24).

Depuis les dynasties Ming (1368 – 1644) et Qing (1644 – 1911) jusqu’à présent, la plupart des chercheurs ont néanmoins conclu que le Nei Jing a été constitué pendant la période des Royaumes Combattants. Ainsi il est dit dans Zhong Guo Yi Xue Shi (Histoire de la médecine chinoise) que  » pendant la période des Royaumes Combattants, la société évoluait rapidement : la politique, l’économie et la culture ont toutes connues un développement considérable. Dans cet environnement, de nombreux classiques de la médecine ont fait leur apparition. Suivant les connaissances actuelles, le Huangdi Nei Jing est le classique médical le plus ancien « .

Il existe aussi un autre opinion qui dit que le Nei Jing a été rédigé pendant la longue période entre les Royaumes Combattants et la dynastie Qin et Han et il y a des arguments intéressants qui permettent de soutenir cette thèse. En effet, des parties importantes du Nei Jing ont été perdues et de nombreux textes ont été ajoutés ultérieurement à la version originale, dont une bonne part d’entre eux datent effectivement de ces périodes. Même pendant la dynastie Tang (618 – 907), Wang Bing a encore fait beaucoup d’ajouts, dont les sept Da Lun (Grands Traités) sont les plus connus.

On peut donc dire que les textes principaux du Nei Jing ont été rédigés pendant la période des Royaumes Combattants et qu’ils ont été complétés pendant les époques suivantes. D’après les recherches contemporaines, ce serait seulement au début de la dynastie des Han occidentaux que l’ensemble de ces textes se serait retrouvé dans un seul ouvrage.

Ce livre a a été intitulé : Huangdi Nei Jing. Cela impliquerait qu’un certain Huangdi en était l’auteur. Certaines personnes en ont déduit qu’il y avait effectivement un Monsieur Huangdi ou, mieux encore, un empereur qui s’appelait  » L’empereur Jaune« . On aime en effet référer à ce fameux empereur légendaire qui aurait vécu de 2698 à 2589 avant Jésus-Christ. (C’est suite à cela qu’on traduit Huangdi par ‘Empereur Jaune’ par convention). Mais il faut pouvoir sortir des conventions et saisir la signification réelle de ce nom. Il est dit dans Ci Hai (Mer des Mots), que  » Dans les légendes, Huangdi est l’ancêtre commun des différents peuples du centre de la Chine. Son nom de famille est : Ji; il avait aussi comme noms : Xuanyuan et Youxiong « . Il faut donc se rendre compte que Huangdi n’était pas vraiment une personne, mais plutôt une tribu qui existait vers la fin de l’époque des sociétés primitives de la Chine. Après avoir conquis deux autres tribus, les Jiuli et les Yandi, la tribu Huangdi, autrefois nomade, s’est installée progressivement au centre de la Chine. Ils sont les ancêtres du peuple qu’on appelle Han depuis la dynastie Han.

La culture de la tribu Huangdi a profondément influencé le développement du peuple Han, de sorte que les générations futures ont utilisé le terme Huangdi comme garantie d’origine et de qualité de bien des choses. Cela explique pourquoi de nombreux savants ont repris Huangdi comme auteur présumé de leurs travaux, afin de bien montrer combien ceux-ci étaient originaux et importants. Le contenu du Nei Jing indique d’ailleurs clairement qu’il ne s’agit pas de l’œuvre d’une seule personne, ni de savants d’une seule région, ni d’une seule période : on y trouve en même temps des textes de livres anciens d’avant le Nei Jing et d’autres nettement postérieurs. Quoiqu’il en soit, cet ouvrage fut attribué à Huangdi et appelé Huangdi Nei Jing, le Classique Interne de l’Empereur Jaune conformément à l’usage et la mode de cette époque.

En dehors du Nei Jing, il y a encore d’autres classiques médicaux qui ont été qualifiés de « Jing », comme notamment le Nan Jing, le Classique des Difficultés, le Ben Cao Jing, Le Classique de la Pharmacopée, le Jia Yi Jing, le Classique Jia-Yi (1) (de l’acupuncture), etc.  » Jing » signifie la voie normale, la loi, les normes standards. Quand on qualifie un ouvrage médical de  » Jing « , cela veut dire qu’il s’agit d’un livre standard que les praticiens de la médecine doivent apprendre.

 » Nei « , interne, est relaté à  » Wai « , externe. Il existait ainsi un Huangdi Wai Jing qui ne nous est pas parvenu. Quand on rencontre  » Nei  » ou  » Wai  » dans un nom de livre, il ne faut pas y chercher une signification précise. Cela sert seulement à distinguer un livre d’un autre. Mais selon certains chercheurs, l’utilisation de  » Nei  » et  » Wai  » dans les titres des livres médicaux servirait à distinguer la théorie de la pratique ou la théorie pure de la théorie discutable : ainsi Nei Jing expliquerait la théorie et Wai Jing les méthodes pratiques; ou Nei Jing expliquerait la théorie pure et Wai Jing les théories discutables. D’après une recherche contemporaine, il serait confirmé que le Huangdi Nei Jing est un ouvrage consacré principalement à la connaissance fondamentale de la médecine tandis que le Huangdi Wai Jing serait un ouvrage traitant des aspects techniques de la pratique médicale. Mais comme le Huangdi Wai Jing a disparu depuis longtemps, il n’est plus possible de vérifier cette hypothèse.

Le Huangdi Nei Jing, tel qu’il existe actuellement, comprend deux parties : le Su Wen et le Ling Shu. Chaque partie est constituée de 81 textes. Il y plusieurs explications pour la signification du nom Su Wen. En général, on considère que la suivante est la plus proche de la signification originale : il est dit dans (Yi Jing) (2) que  » (les choses) ayant une forme sont nées (des choses) sans forme. Il y a quatre termes pour expliquer cela : Tai Yi, Tai Chu, Tai Shi et Tai Su. Tai Yi signifie : ‘il n’y a pas encore de qi‘; Tai Chu signifie ‘le début et l’origine du qi‘; Tai Shi signifie ‘le début et l’origine de la forme‘; Tai Su signifie ‘le début et l’origine de la qualité‘ « . Après que le qi, la forme et la qualité sont devenus réalités, la maladie a pu apparaître.

Les textes du Su Wen expliquent la physiologie et la pathologie de l’organisme humain par la théorie de Yin Yang et des Cinq Phases; ces théories sont issues de l’ancienne philosophie qui expliquait les changements du qi, de la forme et de la qualité dans le monde matériel. On peut donc dire que Su Wen signifie:  » Questions sur l’origine du qi, de la forme et de la qualité (des choses du monde) « , ce que nous traduisons d’une façon plus simplifiée par :  » Questions sur l’origine (du monde) « .

La signification de Ling Shu a aussi été expliquée de façons différentes. Zhang Jingyue (1563 – 1640) disait que Ling Shu signifiait «  le noeud de l’esprit « . Mais le nom Ling Shu a été ajouté à l’ouvrage pendant la dynastie Tang par Wang Bing. Ainsi beaucoup de chercheurs considèrent que Wang Bing a peut-être été influencé par les œuvres taoïstes qui portaient souvent des noms comme Yu Shu, Shen Shu, etc. , et qui se terminent tous pas ce fameux caractère  » shu  » . Nous traduisons donc Ling Shu comme  » Le Pivot Spirituel « , mais il faut savoir que c’est une sorte de terminologie conventionnelle et que, manque de preuves historiques et d’explications originales sur sa significations réelle, d’autres alternatives sont possibles.

Dans ces quelques lignes nous avons abordé brièvement les sources historiques du Nei Jing et la signification de son titre. Nous avons compris qu’il n’y a pas vraiment d’auteur unique et que sa version actuelle est le fruit du travail de différents auteurs de différentes époques. Même le Nei Jing, tel que nous le connaissons actuellement est l’assemblage de deux versions d’époques différentes : le Su Wen est en fait Zeng Guang Bu Zhu Huangdi Nei Jing Su Wen, rassemblé et complété par Wang Bing de la dynastie Tang (618 – 907) et le Ling Shu a été rassemblé et complété par Shi Song de la dynastie Song du Sud (1127 – 1279).

(1) Cet ouvrage de Huangpu Mi (215-282 PC) est le classique le plus important consacré l’acupuncture, succédant au Huangdi Nei Jing. Le terme  » Jia Yi  » a été traduit de nombreuses façons, mais même les meilleurs auteurs classiques et les spécialistes contemporains ne connaissent pas exactement sa signification. En se basant sur l’opinion de Wang Tao , l’auteur du Wai Tai Mi Yao (752 PC), Les Secrets Importants d’un Fonctionnaire en Poste Externe et grand connaisseur du Nei Jing, on admet pour le moment que le terme  » Jia Yi  » référerait à une forme littéraire propre à cette époque. Mais comme la préface et l’introduction originale de cet ouvrage ont été perdus, il ne reste plus que des suppositions.
(2) Yi Jing : Classique des Mutations, aussi appelé Zhou Yi, (Classique des) Mutations de la Dynastie Zhou. C’est un livre de divination apparu pendant la Dynastie Zhou (11ème siècle A.C. – 256 A.C.).

(Ce texte est un extrait exclusif de l’introduction du nouvel ouvrage de Pierre Sterckx et Chen Jun en préparation :  » Explications du classique de l’Interne – Huangdi Nei Jing « . Sans être une traduction complète du Nei Jing, cet ouvrage présente la traduction d’un certain nombre de textes-clés et l’explication approfondie de 80 concepts importants de ce grand classique. Ces deux chercheurs, cumulant plus de trente ans d’expérience dans la recherche, l’étude et la pratique de la médecine chinoise et du chinois classique médical, ont basé leur démarche sur les commentaires des plus illustres commentaires classiques et des plus grands auteurs et médecins de la Chine, spécialistes de ce classique vénérable. Ils ont dû constater la qualité déplorable de nombreuses traductions qui sont actuellement sur le marché et se sont ainsi attachés à offrir un travail encore plus approfondi. Pour ceux qui désirent acquérir une traduction complète du Huangdi Nei Jing, ils conseillent l’ouvre immense réalisée par le dr. Nguyen Van Nghi, d’une rare qualité au point de vue de la traduction et des commentaires. Et si à certains endroits, ils se permettent de le critiquer, voire de proposer des corrections, c’est dans un esprit de saine émulation et de respect. Pour faire connaissance avec d’autres travaux de ces deux auteurs, voyez leur site http://www.guangming.ch).