L’Acupuncture-Moxibustion en France et en Europe

(par Alexandre Levaï, acupuncteur traditionnel.)

La médecine traditionnelle chinoise est une médecine à part entière, complètement différente de la médecine occidentale, qui fait appel à des principes qui lui sont propres. Elle ne fait pas partie du cursus normal de médecine occidentale et ne peut donc être considérée comme une spécialité de la médecine moderne. Un diplôme de médecine occidentale ne peut en aucun cas garantir la qualité de cette pratique médicale ; c’est pourquoi en Europe des pays comme l’Allemagne, la Norvège, la Finlande, la Suisse etc., tolèrent son exercice à côté de la médecine conventionnelle.

En Angleterre la pratique est totalement libre, la Belgique (Loi Cadre Marcel Colla du 22 avril 1999) et les Pays Bas (Loi Générale relative aux professions du secteur des soins de santé individuels novembre 1993) ont décidé de créer une profession indépendante de praticien acupuncteur, profession de santé à haut niveau de responsabilité et à diplôme spécifique. Un praticien-acupuncteur bien formé peut, selon des critères particuliers, pratiquer un bilan énergétique pour débusquer d’éventuels troubles de santé chez un patient dont le traitement n’est pas de sa compétence et travailler en collaboration étroite avec un praticien d’une discipline différente ou un service hospitalier. Ce n’est qu’un problème de diagnostic d’exclusion* !

Pourtant, en 1994, le parlement européen n’a pas adopté le projet de loi de l’eurodéputé belge Paul Lannoye, visant à légaliser et organiser les médecines complémentaires et la médecine chinoise en harmonisant les législations européennes. Finalement, l’adoption de la « Résolution sur le statut de médecines non conventionnelles » votée le 29 mai 1997 par le Parlement Européen est l’aboutissement d’un an de débats et d’amendements au texte initial.

Mais pour comprendre la situation de l’acupuncture-moxibustion en Europe, il faut retracer l’histoire de cet « art de soigner » millénaire.

Une « Longue Marche » vers l’Occident

Ce sont les Jésuites qui, les premiers, ont ramené et compilé des écrits sur l’Acupuncture lorsque, à la fin du XVIIème siècle, Louis XIV les envoya à Pékin ; ceux-ci en rapportèrent des documents sur la civilisation et sur la médecine. C’est ainsi qu’en 1671 un ouvrage sur ce sujet put être publié par le révérend père Harvieu. Au début du XIXème siècle, en France, de grands noms de la médecine s’y intéressèrent et la pratiquèrent : Laennec, Bretonneau, Trousseau, Berlioz. Puis Dabry de Thiersant (1842-1898) auteur de « la Médecine chez les Chinois.  » Mais c’est sous l’impulsion de Georges Soulié de Morant (1878-1955), consul de France à Pékin** pendant plus de 12 ans, que l’acupuncture – moxibustion prit un essor considérable en France et en Europe à partir des années 1920.

Cette pratique médicale est différemment appréhendée selon des groupes d’individus qui composent la société :

Pour les tenants de la médecine orthodoxe, cette médecine « n’existe » pas dans la réalité, puisque la science actuelle ne peut fournir la preuve de son mode de fonctionnement (mais peut être celle de demain, oui !). Ceci dit, ils oublient que l’aspirine a été découverte à la fin du XIXème siècle, mais son mode d’action n’a été expliqué qu’à la fin du XXème siècle. Pendant 100 ans on s’en est servi sans connaître scientifiquement son fonctionnement, ce qui n’empêchait ni de la reconnaître comme un médicament, ni de l’utiliser.

Pour certains faisant partie du corps médical, c’est une pratique complémentaire à la médecine occidentale et peut être considérée comme une de ses spécialités, donc exercé uniquement par les docteurs en médecine.

Pour d’autres (les plus nombreux), cet « art de soigner » est une médecine à part entière et mérite d’être une profession spécifique. Dans ce but, les études et le diplôme devraient être réglementés autrement qu’ils ne le sont actuellement. Notamment, avec un diagnostic d’acupuncture spécifique incluant le diagnostic d’exclusion, un peu différent du diagnostic médical et ne cherchant pas à reconnaître obligatoirement des pathologies selon la pratique de la médecine occidentale.

Nous sommes devant un problème d’études et de diplôme. Leurs niveaux très hétéroclites, varient selon les écoles et les pays. Actuellement, il existe trois sortes de diplômes :

Un diplôme inter universitaire d’acupuncture en France, délivré par six universités réservé aux seuls médecins ; 8 week-ends par an sur 3 ans totalisant 320 heures d’enseignement.

Un diplôme d’Acupuncture Traditionnelle Chinoise que l’Association Européenne d’Acupuncture (A.E.A.) a encouragé pour médecins et non-médecins en Europe comprenant 1150 heures d’études, dont 350 heures consacrées aux spécificités de la médecine occidentale (pour les non-médecins) qui permettent le diagnostic d’exclusion.

Un diplôme chinois passé dans différents pays, reconnu par le Ministère de la Santé Publique de la République Populaire Chinoise pour non-médecins et médecins (son coût est très onéreux).

En ce qui concerne le premier des diplômes cités ci-dessus, il est évident que son niveau est insuffisant pour une pratique correcte, mais peut être utile en tant qu’initiation à l’acupuncture-moxibustion pour les médecins.

Pour le deuxième diplôme, il est clair qu’il faut aller plus loin ! Selon l’évaluation de la commission d’éthique de l’A.E.A., il faut 4625 heures, donc cinq années d’études à plein temps, accompagnées par des stages en milieu hospitalier, comme pour toutes autres médecines. Or pour l’instant, il n’existe pas de service hospitalier d’acupuncture-moxibustion. De ce fait, il n’y a pas de possibilité de stages pratiques ni pour les médecins, ni pour les non-médecins. Cet état de fait maintient la formation en sous-développement, d’où le niveau insuffisant des praticiens. Est-ce voulu ?

Ainsi, la formation complète d’un praticien dure environ 8-10 ans ! Combien ont vraiment la foi et la patience pour la faire ? Heureusement, il y en a, mais peu !

Devant ces problèmes, l’A.E.A. a proposé un modèle d’études qui soit acceptable par tous les pays d’Europe.

Une partie de la médecine conventionnelle est comprise dans ces études pour le diagnostic d’exclusion afin d’éviter des erreurs. Par cette voie, nous pouvons garantir un niveau correct aux diplômes et rassurer du même coup les malades et les autorités qui légifèrent. (Ainsi naquit la profession de chirurgien-dentiste, qui donne aujourd’hui satisfaction à tout le monde quant à son niveau d’études) !

N’oublions pas l’effet économique important qui en résulterait. Nous pouvons affirmer qu’actuellement l’acupuncture-moxibustion permettrait d’économiser des sommes considérables aux systèmes de santé de chaque pays.

Dans l’histoire de la médecine traditionnelle chinoise, il y a toujours eu plusieurs formes d’apprentissage : de maître à élève, par tradition familiale, dans des instituts impériaux, etc. Aujourd’hui, on peut considérer qu’à côté de « l’école chinoise », qui représente le tronc, il existe des branches vietnamienne, japonaise, coréenne, taïwanaise, occidentale., qui restent néanmoins gardiennes de la Tradition. En République Populaire de Chine, les études durent 5 ans, à temps plein, avec beaucoup de pratique en milieu hospitalier.

L’apprentissage de cette médecine est long et ne peut se faire que dans la compréhension complète de ses principes directeurs : étude de la philosophie et de la culture du peuple chinois qui ont fait de cet art une médecine à part entière. Il n’est pas question de mettre de côté l’apport culturel de la pensée chinoise, mais plutôt de l’utiliser pour enrichir nos propres recherches, sans la trahir et selon notre sensibilité, notre langue et notre culture.

*Le diagnostic d’exclusion : terme désignant un diagnostic qui permet d’exclure la possibilité de notre pratique médical. Par exemple un patient se présentant avec des symptômes et des signes de méningite. Il est exclu de le soigner par acupuncture-moxibustion et il doit être diriger vers un service hospitalier.

**Georges Soulié de Morant (1878-1955), poète, écrivain et sinologue se pénétra de la culture médicale chinoise et travailla dans des hôpitaux de médecine traditionnelle sans avoir aucune formation médicale occidentale. A son retour en France, soutenu par le professeur Leriche, qui mit à sa disposition une salle de l’Hôpital Beaujon, il pratiqua et enseigna à des médecins et à des non-médecins. En 1934, il publia, outre ses écrits sur l’art, l’histoire et la culture chinoise, un Précis de la Vraie Acupuncture Chinoise. Mais au début des années 50, le corps médical rejetait toujours en bloc cette médecine, et Georges Soulié de Morant fut poursuivi en justice par des médecins pour exercice illégal de la médecine. Bien qu’il bénéficiât d’un non-lieu, ces attaques ruinèrent sa santé et lui firent abandonner toute pratique et l’enseignement. Il mourut en 1955. Cependant, l’acupuncture – moxibustion se développait inexorablement en occident.

Ci-dessous, quelques ouvrages de référence : (ou ici pour une liste complète de livres)

Diagnostic en médecine chinoise, – Docteurs Autroche et Navailh – Ed. Maloine
Traité didactique d’acupuncture traditionnelle – A. Faubert – Ed. G. Trédaniel
Complément au Traité didactique d’acupuncture traditionnelle – A. Faubert – Ed. Trédaniel
Les principes fondamentaux de la médecine chinoise – G. Maciocia – Ed. Satas
Zang Fu Organes et Entrailles en MTC – J. Ross – Ed. Satas
Aperçus de Médecine Chinoise Traditionnelle – J. Schatz, C. Larre, E. Rochat de la Vallée – Ed. Maisonneuve