Dao De Jing, chapitres 21 à 30

Le célèbre ouvrage de LAO TSEU en 81 chapitres

École chinoise, Lao-tseu sur son buffle, suivi par un disciple, XVIIIe s., Paris, Bibliothèque Nationale.

VINGT ET UN : La grande Vertu vient du Tao. Le Tao est vague, imperceptible, insaisissable ! Oh, qu’il est vague, imperceptible, insaisissable ! Et pourtant en son sein est la vérité. Oh, qu’il est insaisissable, imperceptible ! Et pourtant en son sein est la forme des choses. Il est si sombre, si ténébreux ! Et pourtant en lui est l’essence vraie de l’être. Cette essence est la vérité rayonnante et la vérité cachée. Depuis l’aube des âges son nom nous a été transmis et de lui naissent tous les êtres. Comment peut-on connaître les voies de la création ? Par lui. Par le Tao.

VINGT-DEUX : Ce qui est incomplet s’accomplira. Ce qui est courbé deviendra droit. Ce qui est vide sera rempli. Ce qui est usé deviendra neuf. N’avoir rien et se sentir comblé. Etre riche, et garder sa simplicité. Ainsi est le sage. Il embrasse l’Unité. Il vit caché et pourtant tous le voient. Il ne s’affirme pas et pourtant il s’impose. Il ne se vante pas, et son mérite éclate. Absent à lui-même, sa présence s’accroît. Etant sans ambition, il ne heurte personne. Il ne lutte point. Ainsi nul ne peut l’égaler. Ce qui est incomplet sera achevé. Cette sentence ancienne est pleine de vérité car seul celui qui plie reste intègre. Reste humble et garde l’esprit ouvert : tu recevras le monde.

VINGT-TROIS : Préserve-toi par le silence. L’ouragan ne hurle pas toute une matinée. L’orage ne dure pas tout un jour. Qui produit l’ouragan et la pluie ? Ce sont le ciel et la terre. Si ciel et terre ne produisent rien d’éternel, comment l’homme le pourrait-il ? Celui qui suit la loi s’accorde au Tao. Sa volonté et ses principes sont ceux du Tao. Avec lui il agit et avec lui il s’abstient. Le Sage épris d’absolu y trouve la plénitude. En suivant la voie on trouve la voie. En se conformant à la vertu on devient la vertu. Mais si on pense au crime on recueille la honte du crime. C’est pourquoi l’action comme l’inaction traduisent l’invisible harmonie Ou la foi est totale, ou elle n’est pas.

VINGT-QUATRE : Qui marche sur la pointe des pieds perd l’équilibre et tombe à terre. Qui avance à grand pas s’essouffle vite et est dépassé. Celui qui se met en vue reste dans l’ombre et personne ne voit son mérite. L’homme imbu de lui-même perd l’estime d’autrui. Qui se glorifie n’est pas considéré. Qui se gonfle d’orgueil ne peut pas progresser. Qui vit ainsi est malade de l’âme. Ces laideurs ne salissent pas celui qui suit la voie.

VINGT-CINQ : Une puissance indéfinissable et confuse existait depuis l’éternité. Elle était avant la naissance du ciel et de la terre. Perfection indéterminée. Énergie éternelle. Mouvement sans fin. Mouvement immuable. Force unique. Omniprésente. Impérissable. Sans nom mais connue de tous. Mère et principe créateur de l’univers. Nul ne connaît son nom. On l’appelle le Tao. Il échappe à toute définition. Invisible, il est immense. Immobile, il se propage à l’infini. En fuyant, il revient. Ainsi, immense est le Tao. Immenses le ciel et la terre. Immense l’être. Quatre immensités dans l’univers, dont l’être. L’homme épouse le rythme de la terre, la terre s’accorde avec le ciel, le ciel s’harmonise avec le Tao. Le Tao est la loi, la voie de la nature. Et la voie demeure, éternelle.

VINGT-SIX : Le lourd est la racine du léger. L’immobilité est mère du mouvement. C’est pourquoi le Sage se déplace avec un seul bagage : le Tao. Partout où il va, il reste détaché et serein. Spectateur des merveilles. Spectateur de la vie. Ainsi le Maître des milles choses doit préférer son peuple à lui-même. Car agir avec légèreté, c’est perdre sa racine, s’agiter, c’est perdre la maîtrise de soi.

VINGT-SEPT : Celui qui sait marcher ne laisse pas de traces. Celui qui sait parler garde ses paroles. Celui qui sait compter n’a pas de boulier. Celui qui sait garder n’a que faire de verrous et de clefs. Celui qui sait lier n’a pas besoin de liens et nul ne peut défaire les nœuds qu’il a serrés. Ainsi le Sage se dédie au secours des hommes. Il n’en rejette aucun. Il veille à préserver les êtres, sans en excepter aucun. Il est dans la lumière. Tout plein de soleil. Le Sage est le maître de celui qui ne l’est pas et ce dernier est la matière sur laquelle il agit. Ainsi, ils ont besoin l’un de l’autre. Voilà une vérité. Une vérité subtile. Car tout ce qui est essentiel pour l’homme, tout ce qui lui est indispensable, reste une énigme. C’est l’inconnu pour lequel on lutte et on travaille. C’est l’inconnu qui nous donne la force de vivre, la force d’espérer, la force de croire. Car ce que l’homme veut savoir lui reste inconnu. A jamais.

VINGT-HUIT : Celui qui est conscient de sa force mais garde la douceur de la femme, est le creuset de l’univers. Étant le creuset de l’univers, il fait un avec le Tao et redevient pur comme l’enfant. Celui qui connaît l’étendue de son savoir et garde la simplicité dans son cœur, est le modèle du monde. Étant le modèle du monde, il rejoint le Tao et son espace infini. Celui qui connaît la gloire mais garde son humilité possède la vertu du monde. Étant la vertu du monde, il atteint la plénitude du Tao et revient à l’unité originelle, cette unité d’où provient toute chose. Le Sage participe alors à l’harmonie universelle. Grain de lumière, il se répand dans l’univers et revient à la grande lumière. Et il retrouve l’infini.

VINGT-NEUF : Celui qui veut posséder le monde et lui imprimer sa marque ne peut y réussir. Je le sais. Le monde est une entité sacrée. La main de l’homme ne peut le modeler. En voulant le changer on le détruit. Quand on croit le tenir on le perd. C’est ainsi que l’homme s’éloigne du chemin de la vertu. Car parmi les hommes les uns marchent en avant et les autres s’attardent. Les uns ont un souffle léger, les autres une haleine puissante. Certains sont forts, d’autres faibles. Les uns renversent ce que d’autres ont bâti. Aussi le Sage évite l’excès, l’incohérence et toute extrême. Il vit dans la vérité.

TRENTE : Un souverain instruit dans la voie du Tao renonce à conquérir le monde par la force. Car il sait qu’à l’attaque succède la riposte. Là où sont passées les armées, ne restent que des ruines et ne poussent que des ronces. Les grandes guerres amènent des années de disette. C’est pourquoi l’homme éclairé se montre résolu sans tomber dans l’excès. Il parvient à ses fins mais n’en tire aucune gloire. Il mène à bien ses entreprises sans offenser ni détruire. Il agit sans orgueil et ne combat que par nécessité. Il ne trouble pas la grande harmonie. La force use celui qui l’utilise, car elle va à l’encontre du Tao. Et ce qui va contre le Tao va à sa perte.