Le célèbre ouvrage de LAO TSEU en 81 chapitres
École chinoise, Lao-tseu sur son buffle, suivi par un disciple, XVIIIe s., Paris, Bibliothèque Nationale.
UN : La voie que l’on peut définir n’est pas le Tao, la Voie éternelle. Le nom que l’on peut prononcer n’est pas le Nom éternel. Ce qui ne porte pas de nom, le non-être, est l’origine du ciel et de la terre. Ce qui porte un nom est la mère de tout ce que nous percevons, choses et êtres. Ainsi à celui qui est sans passion se révèle l’inconnaissable, le mystère sans nom. Celui qui est habité par le feu de la passion a une vision bornée. Désir et non désir, ces deux états procèdent d’une même origine. Seuls leurs noms diffèrent. Ils sont l’Obscurité et le Mystère. Mais en vérité c’est au plus profond de cette obscurité que se trouve la porte. La porte de l’absolu du merveilleux. Le Tao.
DEUX : Le monde discerne la beauté, et, par là le laid se révèle. Le monde reconnaît le bien et, par là le mal se révèle. Car l’être et le non-être s’engendrent sans fin. Le difficile et le facile s’accomplissent l’un par l’autre. Le long et le court se complètent. Le haut et la bas reposent l’un sur l’autre. Le son et le silence créent l’harmonie. L’avant et l’après se suivent. Le tout et le rien ont le même visage. C’est pourquoi le Sage s’abstient de toute action. Impassible, il enseigne par son silence. Les hommes, autour de lui, agissent. Il ne leur refuse pas son aide. Il crée sans s’approprier et oeuvre sans rien attendre. Il ne s’attache pas à ses oeuvres. Et, par là, il les rend éternelles.
TROIS : Il ne faut pas exalter les hommes de mérite afin de ne pas éveiller de ressentiments. Il ne faut ni priser les biens rares, car ce serait inciter au vol, ni exhiber les choses enviables, pour ne pas troubler les coeurs. Aussi, le Sage, dans son gouvernement, fait le vide dans le coeur de ses sujets. Il détruit en eux désir et passion qui peuvent les troubler, mais veille à bien les nourrir. Il doit affaiblir leur volonté tout en fortifiant leur corps. Il doit obtenir que le peuple soit ignorant mais satisfait et que la classe cultivée n’ose agir. S’il pratique le non-agir, l’harmonie est préservée. L’ordre est maintenu. L’empire gardé.
QUATRE : Le Tao est le vide, mais le vide est inépuisable. C’est un abîme vertigineux. Insondable. De lui sont sortis tous ceux qui vivent. Eternellement, il émousse ce qui est aigu, dénoue le fil des existences, fait jaillir la lumière. Du rien, crée toute chose. Sa pureté est indicible. Il n’a pas de commencement. Il est. Nul ne l’a engendré. Il était déjà là quand naquit le maître du ciel.
CINQ : Le ciel et la terre sont indifférents aux passions humaines. Pour eux, les vivants ne sont que chiens de paille. Ephémères. Le Sage n’a pas d’affection. Pour lui aussi, les hommes ne sont que chiens de paille. Entre le ciel et la terre, l’espace est comme un soufflet de forge. Il est vide mais pas épuisé. Soit qu’il s’enfle, soit qu’il s’abaisse, il est toujours prêt à servir, toujours inépuisable. L’homme qui veut saisir l’espace n’étreint que le vide. Mieux vaut se fondre dans ce vide, dans ce vide immense, dans ce vide merveilleux. C’est le vide sublime, c’est le Tao.
SIX : L’esprit de l’Obscurité est immémorial, éternel. C’est le principe féminin des origines. Les racines du ciel et de la terre s’élancent de sa porte mystérieuse. Toujours renouvelé, il se répand dans l’univers. Indéfiniment. Il ne s’épuise jamais.
SEPT : Le ciel et la terre sont éternels. Ils n’ont pas de vie propre. Voilà pourquoi ils sont éternels. Ainsi, la première place revient au Sage qui a su s’effacer. En oubliant sa personne, il s’impose au monde. Sans désirs pour lui-même, ce qu’il entreprend est parfait. Il s’était assis à la dernière place. C’est pour cela qu’il se retrouve à la première.
HUIT : La grande perfection est comme l’eau. Comme elle, elle dispense ses bienfaits aux dix mille êtres et ignore les luttes. Comme elle, elle se détourne des obstacles et les évite, descend vers la vallée et demeure là où les hommes ne peuvent pas habiter. C’est pourquoi elle est proche du Tao. Dans tout et pour tout, la perfection commande l’humilité. Elle demande au coeur d’être profond comme un puits. Dans les rapports avec les autres elle réclame des trésors de patience. De la parole, elle attend la vérité. Quand il faut gouverner, elle impose la loyauté et l’ordre. Quand il faut agir elle exige la compétence. Elle s’exerce au moment opportun et ne lutte jamais. Ainsi, elle ne peut s’égarer.
NEUF : Peut-on conserver plein ce qui veut déborder ? Le tranchant aiguisé ne peut que s’émousser, et aucune salle ne peut être gardée si elle contient or et joyaux. Avoir de l’orgueil pour sa puissance et sa richesse attire l’infortune. Si tu fais de grandes oeuvres, termine-les puis efface-toi. Telle est la loi du ciel.
DIX : Accorder le corps et l’âme afin qu’ils voguent à l’unisson et ne se séparent pas. Concentrer sa force vitale et la rendre docile comme celle du nouveau-né. Au-delà du réel, scruter le miroir poli par le regard de l’âme et se laisser aspirer par la lumineuse obscurité. Ménager le peuple sans intervenir. Rester serein, comme la femme, lorsque s’ouvrent et se referment les portes de l’existence. Garder son ignorance et voir les choses dans leur lumière. Donner la vie et la protéger. Produire sans s’approprier. Agir sans rien attendre. Diriger sans dominer. Tel est le chemin de la mystérieuse perfection.