Dao De Jing, le Livre de la Voie et de la Vertu 
Le
célèbre ouvrage de LAO TSEU en 81 chapîtres. (ci-dessous,
chapîtres de 1 à 20)

UN : La
voie que l'on peut définir n'est pas le Tao, la Voie éternelle. Le
nom que l'on peut prononcer n'est pas le Nom éternel. Ce qui ne porte
pas de nom, le non-être, est l'origine du ciel et de la terre. Ce
qui porte un nom est la mère de tout ce que nous percevons, choses
et êtres. Ainsi à celui qui est sans passion se révèle l'inconnaissable,
le mystère sans nom. Celui qui est habité par le feu de la passion
a une vision bornée. Désir et non désir, ces deux états procèdent
d'une même origine. Seuls leurs noms diffèrent. Ils sont l'Obscurité
et le Mystère. Mais en vérité c'est au plus profond de cette obscurité
que se trouve la porte. La porte de l'absolu du merveilleux. Le Tao.
DEUX : Le monde discerne la beauté,
et, par là le laid se révèle. Le monde reconnaît le bien et, par là
le mal se révèle. Car l'être et le non-être s'engendrent sans fin.
Le difficile et le facile s'accomplissent l'un par l'autre. Le long
et le court se complètent. Le haut et la bas reposent l'un sur l'autre.
Le son et le silence créent l'harmonie. L'avant et l'après se suivent.
Le tout et le rien ont le même visage. C'est pourquoi le Sage s'abstient
de toute action. Impassible, il enseigne par son silence. Les hommes,
autour de lui, agissent. Il ne leur refuse pas son aide. Il crée sans
s'approprier et oeuvre sans rien attendre. Il ne s'attache pas à ses
oeuvres. Et, par là, il les rend éternelles.
TROIS : Il ne faut pas exalter les
hommes de mérite afin de ne pas éveiller de ressentiments. Il ne faut
ni priser les biens rares, car ce serait inciter au vol, ni exhiber
les choses enviables, pour ne pas troubler les coeurs. Aussi, le Sage,
dans son gouvernement, fait le vide dans le coeur de ses sujets. Il
détruit en eux désir et passion qui peuvent les troubler, mais veille
à bien les nourrir. Il doit affaiblir leur volonté tout en fortifiant
leur corps. Il doit obtenir que le peuple soit ignorant mais satisfait
et que la classe cultivée n'ose agir. S'il pratique le non-agir, l'harmonie
est préservée. L'ordre est maintenu. L'empire gardé.
QUATRE : Le Tao est le vide, mais le
vide est inépuisable. C'est un abîme vertigineux. Insondable. De lui
sont sortis tous ceux qui vivent. Eternellement, il émousse ce qui
est aigu, dénoue le fil des existences, fait jaillir la lumière. Du
rien, crée toute chose. Sa pureté est indicible. Il n'a pas de commencement.
Il est. Nul ne l'a engendré. Il était déjà là quand naquit le maître
du ciel.
CINQ : Le ciel et la terre sont indifférents
aux passions humaines. Pour eux, les vivants ne sont que chiens de
paille. Ephémères. Le Sage n'a pas d'affection. Pour lui aussi, les
hommes ne sont que chiens de paille. Entre le ciel et la terre, l'espace
est comme un soufflet de forge. Il est vide mais pas épuisé. Soit
qu'il s'enfle, soit qu'il s'abaisse, il est toujours prêt à servir,
toujours inépuisable. L'homme qui veut saisir l'espace n'étreint que
le vide. Mieux vaut se fondre dans ce vide, dans ce vide immense,
dans ce vide merveilleux. C'est le vide sublime, c'est le Tao.
SIX : L'esprit de l'Obscurité est immémorial,
éternel. C'est le principe féminin des origines. Les racines du ciel
et de la terre s'élancent de sa porte mystérieuse. Toujours renouvelé,
il se répand dans l'univers. Indéfiniment. Il ne s'épuise jamais.
SEPT : Le ciel et la terre sont éternels.
Ils n'ont pas de vie propre. Voilà pourquoi ils sont éternels. Ainsi,
la première place revient au Sage qui a su s'effacer. En oubliant
sa personne, il s'impose au monde. Sans désirs pour lui-même, ce qu'il
entreprend est parfait. Il s'était assis à la dernière place. C'est
pour cela qu'il se retrouve à la première.
HUIT : La grande perfection est comme
l'eau. Comme elle, elle dispense ses bienfaits aux dix mille êtres
et ignore les luttes. Comme elle, elle se détourne des obstacles et
les évite, descend vers la vallée et demeure là où les hommes ne peuvent
pas habiter. C'est pourquoi elle est proche du Tao. Dans tout et pour
tout, la perfection commande l'humilité. Elle demande au coeur d'être
profond comme un puits. Dans les rapports avec les autres elle réclame
des trésors de patience. De la parole, elle attend la vérité. Quand
il faut gouverner, elle impose la loyauté et l'ordre. Quand il faut
agir elle exige la compétence. Elle s'exerce au moment opportun et
ne lutte jamais. Ainsi, elle ne peut s'égarer.
NEUF : Peut-on conserver plein ce qui
veut déborder ? Le tranchant aiguisé ne peut que s'émousser, et aucune
salle ne peut être gardée si elle contient or et joyaux. Avoir de
l'orgueil pour sa puissance et sa richesse attire l'infortune. Si
tu fais de grandes oeuvres, termine-les puis efface-toi. Telle est
la loi du ciel.
DIX : Accorder le corps et l'âme afin
qu'ils voguent à l'unisson et ne se séparent pas. Concentrer sa force
vitale et la rendre docile comme celle du nouveau-né. Au-delà du réel,
scruter le miroir poli par le regard de l'âme et se laisser aspirer
par la lumineuse obscurité. Ménager le peuple sans intervenir. Rester
serein, comme la femme, lorsque s'ouvrent et se referment les portes
de l'existence. Garder son ignorance et voir les choses dans leur
lumière. Donner la vie et la protéger. Produire sans s'approprier.
Agir sans rien attendre. Diriger sans dominer. Tel est le chemin de
la mystérieuse perfection.
ONZE : Les rayons de la roue convergent
au moyeu. Ils convergent vers le vide. Et c'est grâce à lui que le
char avance. Un vase est fait d'argile mais c'est son vide qui le
rend propre à sa tâche. Une demeure est faite de murs percés de portes
et de fenêtres, mais c'est leur vide qui la rend habitable. Ainsi,
l'homme construit des objets, mais c'est le vide qui leur donne sens.
C'est ce qui manque qui donne la raison d'être.
DOUZE : Les cinq couleurs aveuglent
l'homme. Les cinq notes assourdissent ses oreilles. Les cinq saveurs
rendent sa bouche insensible. Les courses et la chasse égarent son
esprit. Les richesses l'empêchent de progresser. Ainsi le Sage tourne
son regard en lui-même et, loin du tumulte et des passions, exerce
librement son choix.
TREIZE : Supporte la disgrâce Dd'un
cour égal. Accepte l'adversité comme inséparable de la condition humaine.
Que faut-il comprendre par Supporte la disgrâce d'un cour égal ? La
disgrâce n'est pas pire que la faveur. Toutes deux engendrent la crainte.
Ne soit donc affecté ni par la perte ni par le gain. Que faut-il comprendre
par L'adversité est inséparable de la condition humaine ? L'homme
a un corps, c'est pourquoi le malheur a prise sur lui. S'il n'en possédait
point, quel événement pourrait le frapper ? C'est pourquoi, à celui
qui se soucie des autres autant que de lui-même on peut confier le
monde. Seul celui qui aime les autres autant que lui-même est digne
de les gouverner.
QUATORZE : Mes yeux s'écarquillent,
et je ne le vois pas : il s'appelle l'Invisible. Mon ouïe est en alerte,
et je ne l'entends pas : il s'appelle l'Inaudible. Mes mains se tendent
et ne rencontrent rien : il s'appelle l'Impalpable. Trois aspects
indéfinis qui font l'unité. En haut il n'est pas lumineux, en bas
il n'est pas obscur. Son éternité défie même le temps. Il n'a pas
de nom. Il vient d'un monde où rien de sensible n'existe. Car la lumière
appelle l'obscurité et l'obscurité existe par la lumière. Le Tao est
une forme sans forme, une image sans image. Il est l'Indéterminé.
Si l'on marche devant lui, on ne voit pas son principe. Si l'on va
derrière lui, il paraît sans fin. En suivant l'antique voie, on maîtrise
le présent. Car le Tao est le fil qui guide l'homme à travers le temps.
QUINZE : Les grands sages de l'Antiquité
étaient si éloignés des autres hommes par l'étendue de leur connaissance
et la profondeur de leur pensée qu'on ne pouvait espérer les comprendre.
Peut-on les décrire ? Ils étaient attentifs comme l'homme qui traverse
l'eau tumultueuse et glacée d'un torrent. Prudents comme le voyageur
averti d'un danger. Réservés comme le visiteur qui reçoit l'hospitalité.
Insaisissables comme la glace qui font. Simples comme le bois brut
que l'on vient de débiter. Ils étaient emplis d'espace infini comme
la vallée. Insondables comme une eau dormante. Celui qui suit le Tao
peut, sans trouble intérieur, attendre que l'eau pure se décharge
des limons. Immobile et calme, il verra se présenter l'heure d'agir.
Il ne désire que l'infini du vide. C'est pourquoi les hommes peuvent
par moment le mépriser, le croyant loin de la vérité, car ils ignorent
sa sagesse.
SEIZE : Ayant atteint le vide parfait,
je me laisse porter par l'aile puissante du silence. Je contemple
l'agitation des hommes. Retourner à son origine... Retourner à son
origine, c'est retrouver le repos. Le repos, c'est le retour dans
sa demeure véritable. C'est renouer avec son destin. Ce retour est
la loi éternelle. Connaître la loi éternelle, c'est être éclairé.
L'ignorer, c'est la confusion et, par là, c'est le malheur. celui
qui connaît la loi possède le savoir. Il se montre, alors, impartial.
Impartial, il agit royalement. Royal, il atteint le divin. Le divin
atteint, il est uni au Tao et se trouve désormais au-delà de tout
péril. Rien ne peut le surprendre. Rien ne peut l'émouvoir. Rien ne
peut le toucher. Pas même la mort.
DIX-SEPT : Des grands souverains d'antan
le peuple ne connaissait que le nom. Ce furent des rois aimés et loués.
Puis en vinrent d'autres qu'il craignit. Puis d'autres qu'il méprisa.
A celui qui n'a pas confiance le peuple ne peut faire confiance. L'énergie
du grand souverain ne se dissipe pas en paroles. Elle suscite toute
vocation et toute action. Alors le peuple dit : C'est nous qui avons
fait tout cela . Il dit aussi : Nous sommes libres .
DIX-HUIT : Autrefois le Tao régnait.
L'homme suivait l'ordre de la nature. Puis il advint une époque où
le Tao fut oublié et ce fut alors l'ère de la justice des hommes.
Puis ce fut l'époque de l'intelligence et de l'habileté. et les ambitions
ne connurent plus de bornes. La paix quitta les familles. Mais c'est
dans l'adversité que se révèlent les fils respectueux. L'Etat sombra
dans le désordre. Mais c'est pendant l'anarchie que surgissent les
serviteurs loyaux. Ainsi le Tao est toujours près de l'homme pour
le secourir.
DIX-NEUF : Renoncez au savoir, ne vous
mêlez plus de morale. Le peuple s'en trouvera cent fois mieux. Abandonnez
toute justice humaine et chassez ses lois. Le peuple redécouvrira
les vertus familiales. Renoncez au luxe, bannissez le profit. Il n'y
aura plus de voleurs ni de bandits. renoncez à tout cela et croyez
en l'inutilité de l'apparat. Soyez simples, demeurez fidèles à vous-mêmes.
Rejetez de vos cours l'égoïsme et les désirs. La voie s'ouvrira devant
vous.
VINGT : Renoncez à l'étude et vous
connaîtrez la paix. Entre oui et non la frontière est bien mince.
Le bien et le mal sont entremêlés. La peur qu'éprouve le commun des
mortels ne doit pas effleurer votre cour. Les hommes courent aux festins
de la vie. Ils cueillent les fleurs du printemps, du printemps qui
annonce la vie. Mais moi seul reste calme, étranger au tumulte, comme
le nouveau-né qui n'a pas encore souri. Je suis seul. Immobile. Je
parais démuni de tout, je parais ignorant, je parais abandonné, sans
but, sans logis. La multitude s'affaire à accroître ses biens. Moi
seul ne possède rien. L'homme de la foule a des idées sur tout. Moi
seul hésite. L'homme de la foule est actif, efficace. Seul, je reste
immobile. Je regarde sans voir. Mes pensées, égarées, m'échappent
pour danser, dans les nuages et le vent, parmi les vagues de l'océan.
La multitude des hommes s'affaire, réalise, construit. Je demeure
absent, délaissé, inutile. Et pourtant, mes haillons cachent la plus
grande des richesses. Seul, je diffère des autres. Je suis l'enfant
de la Mère universelle. L'enfant du Tao.
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