Pour ceux qui ont connu Jean-Louis Blard, par Nathalie Cartier-Anthony.

Jean-Louis a été mon professeur d’énergétique chinoise pendant quatre ans. C’était, avec Charles Laville-Méry, le directeur de mon école. Avec lui, j’ai approché la merveille du Vivant. Jean-Louis nous faisait passer cette richesse à travers les cours magistraux indispensables mais aussi par des méthodes vécues et vivantes, le Tai Chi Chuan, les massages, l’intériorisation. Nous avons appris nos méridiens – qui sont beaucoup plus nombreux que douze ! -, et nos « points » d’acupuncture – qui sont en fait des « cavernes » où s’enroulent les souffles -, par le toucher en massage, mais aussi lors de séances de méditation pendant lesquelles Jean-Louis nous en lisait la description dans la langue poétique des classiques chinois SU WEN LING SHU tandis que nous en suivions le trajet et en sentions la réalité dans notre propre corps.
Nous étudiions à la Cité Universitaire de Paris dans la grande salle d’honneur de plusieurs centaines de mètres carrés, avec un plafond à caissons de bois sculpté comportant soixante-quatre blasons comme les soixante-quatre hexagrammes du I King. Nous étions en 1983 la troisième promotion de l’école. Cette année-là, ils avaient accepté de prendre cinquante inscriptions sur l’expérience d’un désistement habituel de la moitié des élèves à la fin de la première année. Mais les cinquante étaient des passionnés et sont restés jusqu’au bout de leurs études. Et l’enthousiasme a prévalu côté professeurs comme côté élèves.

J’ai passé quatre années d’étude extraordinaires.

Jean-Louis était extrêmement généreux dans son enseignement. Il transmettait toute sa connaissance sans compter. Comme d’autres, j’ai eu la chance qu’il m’invite à approfondir la formation auprès de lui et de ses patients dans son cabinet à Epernay en Champagne pendant plusieurs années.

Voir Jean-Louis soigner était inoubliable. Tout d’abord, la journée commençait tôt par une heure de pratique énergétique – le Yoga ces dernières années m’a-t-il dit. Et c’est ainsi relié à la Source qu’il abordait ensuite le soin proprement dit. C’est lui le premier qui m’a fait passer de manière très concrète ce messages des maîtres, qu’ils soient chinois ou indiens, de la nécéssité d’une pratique matinale régulière. Son cabinet était organisé à la chinoise, avec plusieurs cabines séparées par de simples rideaux. Ses déplacements d’une cabine à l’autre faisaient partie d’un mouvement général harmonieux, comme une danse de Tai Chi qu’il faisait si bien. Pas de heurt, mais une grande Liaison de l’un à l’autre. Il accordait beaucoup d’importance à la dimension parlée, à l’accueil humain, au fait que ce qui se disait pour l’un pouvait en fait profiter à l’autre par derrière le rideau. Mais il avait aussi une approche et ce toucher terriens qui remettaient les gens en contact avec une sorte de bon sens du corps. Et c’était un as de l’énergétique. Avec des tas de tours dans sa besace, appris en France ou en Chine quand on y allait encore par bateau. Il avait rencontré là-bas des maîtres très intéressants. Il adorait soigner, même en dehors de son cabinet. Quarante ans de soins me disait-il, on ne se refait pas.
C’était aussi un homme qui savait parler de la sexualité masculine et féminine de façon simple et naturelle. Il a apaisé par cette parole nombre de patients ou d’élèves.
D’autres qui sont restés dans le domaine de l’énergétique chinoise, que j’ai quitté depuis 15 ans maintenant, parleront cependant mieux que moi de Jean-Louis acupuncteur.

Mais pour moi, Jean-Louis a été encore plus que tout cela : il a été mon « passeur » vers la spiritualité. Attirée par cette réalité, je n’avais rencontré jusqu’alors que des discours dont je ne sentais pas l’authenticité, ou des personnes très construites dans leur ego, dont je ne contestais pas l’avancée peut-être plus grande que la mienne, mais en qui je ne pouvais pas avoir cette confiance que demande l’abandon intérieur sincère. Entendre Jean-Louis nous parler d’une part en nous qui était là immobile, tranquille, non engagée dans les aléas de la vie, et avec laquelle il nous invitait à nous mettre en contact, entendre ces paroles dites avec l’assurance que donne l’expérience vécue, et avec la force qui se dégageait de cet homme bien relié à la terre, était une ouverture et un baume extraordinaires. Mon sentiment a été alors : « Oui, je peux vraiment y aller sans plus hésiter ! »

Jean-Louis m’a accueillie avec beaucoup de bonté dans son « giron ». Ce lien très fort que j’ai tout de suite senti avec lui et l’intérêt qu’à ma grande surprise il me manifestait, ont aidé la jeune femme doutant d’elle-même que j’étais alors à prendre peu à peu confiance en elle, non pas artificiellement mais sur un plan profond. Je me souviens d’un jour de première année où je ne sais plus quelle circonstance lui a fait piquer une colère terrible contre nous en nous traitant de moutons ou quelque chose d’approchant, et nous exhortant à nous réveiller et à être plus vigilants, et qui avait fini par l’avertissement qu’il n’inviterait à travailler avec lui dans son cabinet que ceux qui en étaient dignes. Et alors que des tas de gens très intéressants et même fascinants s’étaient inscrits cette année-là, et malgré ma timidité et ma peur d’être prétentieuse, j’avais ressenti de façon certaine au fond de moi que je n’étais pas concernée et que j’étais une de ceux qu’il allait prendre avec lui.

Jean-Louis m’a beaucoup aidé dans des moments difficiles de ma vie, et il a été très proche de moi et de mon compagnon Jean-Loup. Nous sommes toujours restés en contact étroit.
Début 1990, il était là pour notre mariage après 15 ans de vie commune, et en 93 pour la fête de mes 40 ans, un moment de paix et de plénitude avec nos amis.
En automne 90, j’avais amené à Epernay SHANTARAM VAIDHYA, un médecin ayurvédique rencontré en Inde en février 89 lors d’un voyage d’étude, patriarche de ce qui est devenu depuis notre « famille » indienne, et alors âgé de 80 ans. SHANTARAM et Jean-Louis se sont immédiatement aimés l’un l’autre. A peine sortis du parking de la gare où Jean-Louis était venu nous chercher, ils se sont précipités tous les deux sur des marrons tombés des arbres, chacun penché sur le sol, donnant à l’autre les indications qu’il connaissait de ce fruit. Ils ont soigné ensemble toute la journée, échangeant leur façon de prendre les pouls, de comprendre un problème, de tenter de le résoudre. Nous étions tous heureux de ce moment. SHANTARAM chez qui j’étais en Inde il y a environ 8 mois, et qui a maintenant 94 ans, m’a demandé des nouvelles de Jean-Louis.
Puis c’est mon guide actuel en Yoga, Sri O.P. TIWARIJI, qu’il est venu rencontrer en 1996 en Cévennes où nous habitions alors, pour travailler avec lui une semaine.
Et enfin, il y a 5 ans, j’ai eu le bonheur de pouvoir l’emmener en Inde avec un groupe d’élèves et d’amis. C’était pour moi acte d’offrande : pouvoir lui rendre un peu de tout ce que j’avais reçu de lui. Il a revu là-bas TIWARIJI et il a eu une rencontre personnelle importante avec VIJAYANANDA à Kankhal.

Pour tout cela, je me sens aujourd’hui orpheline d’un de mes « pères » sur le chemin, en même temps que riche de la plénitude de ce qui a été donné et profondément satisfaite que nous ayons vécu ensemble tout ce que nous avions à vivre.

D’une certaine manière, je peux dire que je suis issue de Jean-Louis, je fais partie de lui ou il fait partie de moi, c’est pareil. Nous sommes faits de la même fibre profonde.

Et nous sommes plusieurs que je connais, et sans doute de nombreux autres qui ont précédé ou suivi mon temps et que je ne connais pas, enseignants ou thérapeutes, qui sommes ses « enfants » dans le sens de la continuation d’une transmission, chacun à notre façon, avec nos personnalités distinctes et nos chemins propres, héritiers d’une dimension de Témoignage de cette Réalité que Jean-Louis a touché et qu’il a maintenant rejointe.